Le cercle de pierre.

Le cercle de pierre.




Des temps d’avant et d’avant les temps, elles sont le symbole. Même l’aïeule du village les a toujours connues, dressées là, en un cercle parfait face à la mer… Géants de pierre surplombant le village comme des gardiens endormis… Au centre du cercle trône une pierre gravée de runes, signes anciens, écriture des ancêtres, que le temps a peu à peu effacées.


La rumeur dit que ces signes sont magiques et que quiconque prononce l’incantation qu’ils forment, durant une éclipse peut changer son destin.


Le vieux Leif, lui, raconte à qui veut l’entendre, qu’un soir de pleine lune, où il s’était assoupi au pied de l’une d’entre elles, il les a entendues chuchoter… Mais chacun sait que Leif aime autant l’hydromel d’Erling que la cervoise de Sven…


Pourtant, ils sont nombreux à faire un détour pour éviter de traverser le cercle, surtout quand la lune est pleine…

Les enfants, eux, en ont fait leur terrain de jeu favori. Et c’est là qu’ils se réfugient pour échapper aux réprimandes…


Et c’était là que se retrouvaient Solveig et Bjorn, à l’écart du village, loin de leurs familles respectives.


Car au sein du village, deux clans se vouent une haine féroce ... Une haine si ancienne que nul ne sait dire comment elle a commencé… Une haine aussi ancienne que le cercle de pierre lui-même. Dernièrement, pour un cochon égaré que l’on croyait volé, le père de Bjorn avait failli perdre un œil. Et la lessive hebdomadaire se transformait en une mêlée inextricable lorsque les femmes des deux clans se croisaient au lavoir. Tant et si bien qu’il a fallu en construire un deuxième...

Et c’est au milieu de toute cette haine que Bjorn et Solveig ont caché leur amitié… Au fil du temps, au fil des ans, l’amitié s’est transformée en un sentiment plus fort… Et c’est, à présent, leur amour, qu’abrite le cercle de pierre. C’est là qu’ils se retrouvent à la nuit tombée, lorsque tout dort. C’est là qu’ils rêvent d’un avenir… ensemble


« Hélas, dit Solveig, un soir… Je sais que mon père n’acceptera jamais ce mariage ! Il préfèrera me voir morte que mariée à toi… »


« S’il le faut, je volerai le bateau de mon père et nous partirons sur la mer vers ces terres nouvelles dont Harald est revenu » répond Bjorn


« C’est cette vie que tu veux ? Une vie de bannissement ? » reprend Solveig les larmes aux yeux


Ils restaient là, enlacés, se consolant mutuellement…


Et c’est, ainsi, un soir que Gudrun, la « völur » les a découverts …

« Que voilà donc une chose importante… Vraiment importante… Vos familles connaissent-elles ce feu qui brûle en vos cœurs ? » Dit-elle en posant son doigt décharné sur le cœur de Solveig. « Prenez garde… Toi, la belle, ça se lit dans tes yeux … et lui, ça se voit à la façon dont il serre la mâchoire et crispe sa main sur la poignée de son scramasaxe lorsqu'il rencontre ton père ou ton frère.
Il faudra peu de temps avant que le malheur ne frappe… Il faudra peu de
temps…. A moins que… »


Elle s’approcha de la pierre dressée au centre du cercle, et son doigt suivit l’alignement de runes.. « Par le pouvoir du fils de la nuit et celui de la fille de la lumière, Sol et Mani enfin réunis, que ce qui est séparé ne soit plus qu’un, changeant la face du destin, pour l’éternité» récita la vieille femme


« Que ce qui est séparé ne soit plus qu’un … répéta doucement Solveig… changeant la face du destin … pour l’éternité… »

Gudrun disparue, Bjorn et Solveig reprirent le chemin du village… à quelques pas des premières maisons, Bjorn enlaça une dernière fois sa bien aimée avant de se séparer et lui dit : « N’écoutes pas cette vieille folle… L’âge lui a embrumé la tête. J’irai voir ton père et s’il me refuse ta main… Je t’enlèverai ! »


Perdus dans les yeux l’un de l’autre, ils ne virent pas que Karl, le frère ainé de Solveig, les surveillaient, les yeux lançant des éclairs vers le couple enlacé… Lorsque les deux amoureux se séparèrent, il suivit Bjorn et le rattrapa :


« - Arrête-toi, Bjorn le fourbe !... Le voleur de filles ! Arrête-toi ! Tu as déshonoré ma sœur ! Tu dois donc payer pour l’offense ! »


« -Ta sœur est toujours digne d’honneur ! Et je veux la prendre pour femme ! » Répondit Bjorn


« -Ce seront les Dieux qui décideront… Demain, nous combattrons devant ton clan et le mien rassemblés ! Et je te tuerai pour venger l’honneur de ma sœur… l’honneur de mon clan ! » Déclara Karl


« Soit… Puisqu’il le faut… Que le destin décide » répondit Bjorn

Le lendemain, au zénith, les deux clans se font face sur la place du village. Les anciens sont là, pour veiller au respect des lois.


Gunhalf, le chef du village annonce : « Chacun des combattants aura 3 boucliers et une épée ! Le combat cessera au premier sang versé ! Et le perdant sera banni ! »


Le bannissement, une punition pire que la mort….


« Je te tuerai ! Siffla Karl en regardant Bjorn dans les yeux. Ton sang rougira notre terre ! »


« Que le combat commence » annonça Gunhalf

Les deux adversaires s’avancèrent ! Aussitôt Karl abattit une pluie de coups avec son épée et Bjorn les para avec son bouclier. Karl frappait, encore et encore… Tant et si bien que le bouclier de Bjorn vola en morceaux ! Le combat s’interrompit pour permettre à Bjorn de s’emparer de son second bouclier…


Dans les 2 camps, les guerriers hurlaient des conseils…
Bjorn , lui, ne voyait que le visage de Solveig baigné de larmes… Une fois encore, il se rappela la promesse qu’il lui avait faite avant le combat : « je ne prendrai pas la vie de ton frère… je te le promets » Et c’est pour ça qu’il encaissait coup après coup sans en porter un seul…


Et le combat reprend… Les coups de Karl sont de moins en moins appuyés… de moins en moins précis….
Il fatigue… Bjorn, lui, pare toujours les coups avec la même efficacité sans jamais tenter d’atteindre Karl avec son épée, fidèle à sa promesse. Solveig est là qui les regarde, déchirée entre son amour pour Bjorn et celui qu’elle porte à son frère…


Soudain, le bouclier de Bjorn éclate, une fois encore, sous un coup mieux porté que les autres… Voulant se saisir de son troisième bouclier, il tourne le dos à son adversaire…


C’est alors que la foule pousse un cri, Karl vient de tenter de pourfendre Bjorn dans le dos, mais comprenant les intentions de son frère, Solveig s’est jetée entre lui et son bien aimé…


C’est elle que la lame de Karl vient de transpercer… Elle, dont le sang vient rougir la terre…


Lâchant ses armes, Bjorn se rue vers Solveig qui s’écroule dans ses bras… Hébété, Karl regarde le sang de sa sœur qui macule sa lame…

Les deux clans sont silencieux… Unis dans la même douleur…


« - Emmène-moi chez nous… Emmène-moi au cercle de pierre » chuchote Solveig à l’oreille de Bjorn


Prenant la jeune fille dans ses bras, Bjorn se dirige vers le cercle de pierre


« -Là ! « dit-elle en désignant la pierre centrale, celle qui porte les runes


Bjorn s’installe au pied de la pierre, enlaçant Solveig…
Karl les a suivit… « Pardon… dit-il les yeux baignés de larmes…. Pardon…. » Il plante son épée devant le couple, se retourne et s’en va…. Droit devant lui… C’est le bannissement qu’il a choisi… Il quitte son village portant à jamais sa faute….

C’est alors que le ciel s’assombrit… Un disque noir vient couvrir la face du soleil….


« Eclipse… Runes… changer le destiné » murmure Solveig


« Je ne sais pas… Je ne connais pas… Solveig… Mon amour… pardon…. Pardon » répond Bjorn


Gudrun apparait alors… De sa voix rocailleuse elle récite la phrase gravée dans la pierre : « « Par le pouvoir du fils de la nuit et celui de la fille de la lumière, Sol et Mani enfin réunis, que ce qui est séparé ne soit plus qu’un, changeant la face du destin, pour l’éternité»


Bjorn la répète mot après mot, les yeux rivés dans ceux de Solveig dont les lèvres dessinent des mots inaudibles…


Et le soleil, peu à peu, réapparait….

Ce qu’il advint des deux amants, l’histoire ne le dit pas… A chacun d’en trouver la fin au fond de son cœur…


Solveig fut-elle sauvée ? Vécurent-ils heureux dans un village unifié ? … Nul ne le sait…


Mais ce que je sais, c’est qu’au centre du cercle de pierre, se dressent deux énormes pierres, l’une gravées de runes à moitié effacées, l’autre enserrée dans les racines du arbre, un if qui a poussé, enlaçant la pierre comme un amant tient sa belle dans ses bras…




Dame Mèlîye
26 juillet 2010

joli, j'aime beaucoup...

J'aime aussi beaucoup Une belle histoire à la viking